MAURICE CARÊME
 Accueil Sommaire Livre d'or Recherche

 

Remonter
Fondation M C
Biographie
Musée
Poèmes
Oeuvres
Bibliothèque
Salle d archives
Les amis de M C
Prix
Liens

            

LE CHAT ET LE SOLEIL

Le chat ouvrit les yeux,
Le soleil y entra.
Le chat ferma les yeux,
Le soleil y resta.

Voilà pourquoi, le soir,
Quand le chat se réveille,
J’aperçois dans le noir
Deux morceaux de soleil.                                                                                    

 L’ARLEQUIN

L’ARTISTE

 

Il voulut peindre une rivière ;
Elle coula hors du tableau.

 

Il peignit une pie grièche ;

Elle s’envola aussitôt.

 

Il dessina une dorade ;

D’un bond, elle brisa le cadre.

 

Il peignit ensuite une étoile ;

Elle mit le feu à la toile.

 

Alors, il peignit une porte

Au milieu même du tableau.

 

Elle s’ouvrit sur d’autres portes,

Et il entra dans le château.

 

                                 ENTRE DEUX MONDES

LA CUISINE

La cuisine est si calme
En ce matin d’avril
Qu’un reste de grésil
Rend plus dominical.

Le printemps, accoudé
Aux vitres, rit de voir
Son reflet dans l’armoire
Soigneusement cirée.

Les chaises se sont tues.
La table se rendort
Sous le poids des laitues 
Encor lourdes d’aurore

Et à peine entend-on,
Horloge familière,
L’humble cœur de ma mère
Qui bat dans la maison. 

                              MERE

 

L’HOMME

 

L’homme et l’oiseau se regardèrent.
- Pourquoi chantes-tu ? lui dit l’homme.
- Si je le savais, dit l’oiseau,
Je ne chanterais plus peut-être.

 

L’homme et le chevreuil se croisèrent.
- Pourquoi joues-tu ? demanda l’homme. 
- Si je le savais, dit la bête,
Est-ce que je jouerais encore?

L’homme et l’enfant se rencontrèrent.
- Pourquoi ris-tu ainsi ? dit l’homme.
- Si je le savais, dit l’enfant,
Est-ce que je rirais autant ?

Et l’homme s’en alla, pensif.
Il passa près du cimetière
 - Pourquoi penses-tu ? dit un if
Qui poussait dru dans la lumière.

Et, pas plus que l’oiseau dans l’ombre, 
Que le chevreuil dans la clairière
Ou que l’enfant riant dans l’air,
L’homme ne put rien lui répondre. 

                                 DEFIER LE DESTN

 

LA PEINE

On vendit le chien, et la chaîne,
Et la vache, et le vieux buffet,
Mais on ne vendit pas la peine
Des paysans que l’on chassait.

Elle resta là, accroupie
Au seuil de la maison déserte,
A regarder voler les pies
Au-dessus de l’étable ouverte.

Puis, prenant peu à peu conscience
De sa forme et de son pouvoir,
Elle tira d’un vieux miroir
Qui avait connu leur présence,

Le reflet des meubles anciens,
Et du balancier, et du feu,
Et de la nappe à carreaux bleus 
Où riait encore un gros pain.

Et depuis, on la voit parfois,
Quand la lune est dolente et lasse,
Chercher à mettre des embrasses
Aux petits rideaux d’autrefois. 

                             PETITES LEGENDES

PARTOUT ON TUE

A quoi servirait-il de fuir ?
Partout on tue, on incarcère.
Le monde est lassé à mourir
De tant de haines et de guerres.

Et l’on a beau scruter le ciel,
Chercher derrière les nuages
Une lueur providentielle,
Rien que la nuit, que les orages.

Et l’on a beau vouloir parler
A cœur franc de ce qui nous hante.
La crainte nous serre le ventre,
Et personne n’ose parler.

Et l’on a beau vouloir crier
Qu’on a les pieds, les mains liés.
Comme personne ici ne crie,
On se tait par humilité. 

                          DE PLUS LOIN QUE LA NUIT

POUR QUOI FAIRE ?

La vérité, mais pour quoi faire ?
Répétait chaque jour son frère.

La liberté, mais pour quoi faire ?
Demandait encore son frère.

La justice, mais pour quoi faire ?
Elle est trahie, disait son frère.

La révolte, mais pour quoi faire ?
On nous tuerait, geignait son frère.

Mais lui n’ajoutait jamais rien.
Un os peut contenter un chien.

                                  COMPLAINTES

 

LA LIBERTE 

Je suis la liberté,
Répétait-il, la liberté
Avec tous les dangers
Que je vais vous valoir
Et, pour me faire taire,
Il faudra me tuer.

Mais on le laissait faire, 
On le laissait parler.
Il était bien trop solitaire
Pour amener l’homme à briser
Le cercle de fer et d’acier
Où l’injustice et la misère 
L’avaient peu à peu enfermé.

Je suis la liberté,
Répétait-il encor.
Regardez-vous. Vous êtes morts.
Mais, comme on avait à manger,
On le laissait crier.

                                  DEFIER LE DESTIN

 

L’OISEAU

 

Quand il eut pris l’oiseau,

Il lui coupa les ailes.

L’oiseau vola encor plus haut.

 

Quand il reprit l’oiseau,

Il lui coupa les pattes.

L’oiseau glissa telle une barque.

 

Rageur, il lui coupa le bec,

L’oiseau chanta avec

Son cœur comme chante une harpe.

 

Alors, il lui coupa le cou.

Et de chaque goutte de sang,

Sortit un oiseau plus brillant.

 

                                 ENTRE DEUX MONDES

 

LA MORTE

Il entendit la mort
Derrière cette porte,
Il entendit la mort
Parler avec la morte.

Il savait que la porte
Etait mal refermée
Et que, seule, la mort
En possédait la clé. 

Mais il aimait la morte
Et quand il l’entendit,
Il marcha vers la porte
Et l’ouvrit. Il ne vit

Ni la mort ni la morte ;
Il entra dans la nuit
Et doucement, la porte
Se referma sur lui. 

                                 PETITES LEGENDES
 

 

PRIERE DU POETE

Je ne sais ni bêcher, ni herser, ni faucher,
Et je mange le pain que d’autres ont semé.
Mais tout ce que l’on peut moissonner de douceur,
            Je l’ai semé, Seigneur. 

Je ne sais ni dresser un mur de bonne pierre,
Ni couler une vitre où se prend la lumière.
Mais tout ce que l’on peut bâtir sur le bonheur,
            Je l’ai bâti, Seigneur.

Je ne sais travailler ni la soie, ni la laine,
Ni tresser en panier le jonc de la fontaine.
Mais ce qu’on peut tisser pour habiller le cœur,
            Je l’ai tissé, Seigneur.

Je ne sais ni jouer de vieux airs populaires,
Ni même retenir par cœur une prière.
Mais ce qu’on peut chanter pour se sentir meilleur,
            Je l’ai chanté, Seigneur.

Ma vie s’est répandue en accords à vos pieds.
L’humble enfant que je fus est enfant demeuré,
Et le peu qu’un enfant donne dans sa candeur,
            Je vous l’offre, Seigneur.

 

                                    HEURE DE GRÂCE

 

LA VIE

 

Comme il passait sur le sentier,

Il vit la vie dans un pommier,

 

La vie qui récoltait les pommes

Tout comme l’aurait fait un homme.

 

Elle riait, riait si haut

Qu’autour d’elle tous les oiseaux

 

Chantaient, chantaient si éperdus

Que nul ne s’y entendait plus.

 

La mort, assise au pied de l’arbre,

Aussi blanche et froide qu’un marbre,

 

Tenait à deux mains le panier

Où les pommes venaient tomber.

 

Et les pommes étaient si belles,

Si pleines de jus, si réelles

 

Que la mort, lâchant le panier,

S’en fut sur la pointe des pieds.

 

                                 ENTRE DEUX MONDES

                                    

poèmes: © fondation Maurice Carême

photos: © Ernest Trümpy